Voila c’est la fin du récit… 1971, un autre temps, d’autres pilotes, François nous raconte la course et sa joie tellement rafraîchissante pour finir…
J’ai pris un départ excellent; il m’a permis de passer second derrière Hulme et devant Stewart, à la sortie du premier virage. J’ai attaqué Hulme dans la ligne droite, en profitant de son sillage, et me suis mis à sa hauteur. Au freinage, j’ai laissé délibérément le passage libre à Jackie; il nous a doublé tous les deux à l’intérieur. Dans la nouvelle courbe au fond, je me suis placé un peu trop d l’extérieur ce qui a permis à Hulme de me redoubler. Au premier passage, l’ordre était Stewart-Hulme-Cevert-Regazzoni-Siffert-lckx. Nous avons ainsi roulé six tours sans que je parvienne à repasser la McLaren. Pour finir je l’ai piquée « au freinage », à nouveau au bout de la ligne droite, et Hulme ne m’a plus ennuyé. Les Tyrrell étaient aux deux premières places, et il parait que dans les stands, la bouche de Ken Tyrrell était fendue d’une oreille a l’autre. Je n’attaquais pas outre mesure, me contentant de prendre très progressivement du champ sur Hulme_. Mais tout à coup, à ma grande surprise je me suis aperçu que malgré ce rythme très décontracté je revenais petit a petit sur Stewart. J’ai pens6 «voila qui est nouveau !« Une fois derrière lui, j’ai compris ce qui se passait clans les virages, le voyais ses roues avant braquées a fond vers l’intérieur, ct la voiture qui partait pourtant en dérive. Manifestement, la Tyrrell sous-virait beaucoup trop, et bien plus que la mienne, qui devait malheureusement, d’ailleurs. après une vingtaine de tours, donner elle aussi des signes équivalents. ce qui n’allait pas sans m’alarmer.
Pour finir, Jackie s’est rendu compte qu’il me ralentissait, et que nos adversaires se rapprochaient; aussi très sportivement, m’a t-il fait signe de le doubler entre deux virages du fond. Me voilà donc en tête et cette fois-ci, je suis bien decid6 à y rester. Les ennuis de Jackie s’accentuant, sa cadence allait en diminuant, mais il se battait comme un diable pour conserver la deuxième place, ce qui allait me profiter, car cette bagarre retardait mes poursuivants. Au 16eme tour, mon avance sur Jackie était montée à 6″, et au tour suivant, je vois sur mon panneau de signalisation +6 Ickx- Voila qui n’était pas de bonne augure pour moi, car je me suis dit que si lckx avait doublé successivement Siffert, Regazzoni, Hulme et Stewart, c’est qu’il marchait vraiment fort et qu’il risquait bien de me rattraper. J’ai donc attaqué de plus belle, ce qui m’a permis de stabiliser l’écart pendant une dizaine de tours. Mais lorsque nous avons commencé a rattraper les derniers, Jacky lckx s’est montré beaucoup plus habile que moi à les doubler et son retard est descendu a 4″, puis 3″, puis 2″. Heureusement le profil vallonné du circuit m’empêchait de le voir dans mes rétroviseurs, ce qui m’a sans doute évité de m’énerver. Des que la piste se dégageait devant moi pour deux ou trois tours, .je repassais a + 3″. Pendant vingt tours environ, l’écart est resté stationnaire a + 2″, chacun de nous donnant son maximum. Pourtant, je faisais très attention à économiser mes pneus avant, pour éviter que ma voiture ne se mette à sous-virer comme celle de Stewart. Pour cela, je m’attachais à éviter à tout prix ce qui pouvait les échauffer excessivement : freinages tardifs par exemple.
A mon plus grand soulagement, alors que je commençais a faire des calculs pour savoir combien je pouvais perdre de dixièmes de seconde par tour, sans que la victoire m’échappe, voila que mon panneau m’indique : lckx + 4, puis + 6, puis + 8,+ 10, enfin, au 49eme tour : + 32 Siffert. Oh soulagement ! Pourtant, je n’étais pas encore sorti de l’auberge : immédiatement après que j’eus reçu cette bonne nouvelle, je suis arrivé à l’ endroit ou la boite de vitesses de mon adversaire s’était vidée, en plein virage. ll n’y avait pas un drapeau signalant l’huile. les commissaires étaient affairés a dégager la voiture de Hulme, qui avait percuté le rail. J’ai bien failli rester la aussi a peine mes roues ont-elles abordé la flaque d’huile, que la voiture a échappé A mon contr6le et j’ai eu la vision horrible du rail qui arrivait a toute vitesse a ma rencontre. Ce quatre octobre était pourtant mon jour de chance, car j’ai eu beau frictionner deux fois ce rail, ma trajectoire était suffisamment parallèle a lui, pour que le choc soit trop faible pour occasionner des dégâts.
Il me restait alors huit tours a couvrir, et j’ai largement levé le pied : trois secondes au tour moins vite que jusqu’alors. Fou de joie i l’idée que la victoire pourrait difficilement m’échapper je ne m’en répétais pas moins : » Fais attention, c’est quand on ralentit qu’on se déconcentre et qu’on sort de la roule bêtement « . J’ai sans doute été assez éloquent pour me convaincre moi-même et c’est ainsi qu’après huit tours, qui ont duré huit siècles. j’ai vu enfin le plus beau drapeau a damiers du monde frénétiquement agité par le plus gentil Directeur de course du monde, devant le plus merveilleux public du monde : j’avais remporté mon premier Grand Prix, le Grand Prix of United States « .
Ago,
merci pour post
ah !! enfin !!! tu arrives à nous faire languir. Belle histoire. Merci msr 😉
Merci Ago.
My pleasure les gars 😉 Je trouve ce récit vraiment rafraîchissant, c’était vraiment une autre époque non ?
Une autre époque, c’est ce que je me disais en remarquant que Cevert ne pouvait avoir connaissance des écarts avec ses poursuivants qu’avec le rétro ou les panneaux, une fois par tour dans ce dernier cas… Pas d’électronique, pas de liaisons radio. Je ne dis pas que c’était mieux ; c’était une autre époque, au siècle dernier.
Cette dernière partie rappelle un peu un autre de nos pilotes français, qui lui aussi remporta sa seule victoire en Amérique du nord, Jean Alesi. Il évoque lui aussi les derniers tours, cette crainte de tout perdre pour une bête erreur d’inattention, ces tours qui durent plus longtemps que la course elle-même… Plus de 20 ans plus tard. Merci encore !
Dans le cas de Cevert c’est 39 ans plus tard… j’avais 16 ans et ce Sport Auto je l’ai acheté moi-même au kiosque… Alors quand j’en vois qui ont a peine 20 balais et qui veulent donner des leçons aux vieux mordus comme moi j’ai un petit sourire 😉
Et en plus je n’étais pas né au moment de cette victoire de François… Mais il s’est passé 24 ans entre la victoire de Cevert et celle d’Alesi.
Merci pour « ton » post
Merci Ago ! Je garde en souvenir le François Cevert du Mans 73 à bord de la Matra… Une autre époque, certes.
« lorsque qu’on a commençé à rattraper les derniers, Jacky lckx s’est montré beaucoup plus habile que moi à les doubler »
Quel pilote aurait l’humilité de dire cela aujourd’hui…?
Pour le fair play de Stewart c’est moins probant(il était déjà sacré CdM)
Mais ça fait du bien de revoir défiler tous ces noms…
Voici une fin de récit qui me comble !
Merci pour les efforts que tu as fait, Ago, pour nous aire profiter de ce petit bijou, effectivement improbable à notre époque !
Ago, pour revenir sur ce GP des USA 71, une anecdote sur Stewart et Cevert, alors qu’ils se détendaient dans une caravane derrière les stands, 1 heure avant le départ. Cevert raconte:
« Stewart était allongé sur une banquette et je comprenais qu’il ne fallait pas lui parler. Soudain, c’est lui qui m’a adressé la parole:
« François, tu feras bien attention au départ. Souviens-toi que nous avons une 2e vitesse très longue. Au démarrage, ne fais donc pas patiner exagérément tes roues motrices, ce qui t’amènerait à changer de rapport trop tôt et te ferait tomber trop bas en régime sur la seconde pour accélérer convenablement. »
Stewart a fait plus pour moi que pour un frère », conclut François.
Source: L’EQUIPE 50 ans de Formule 1
C’était une époque formidable pour les pilotes, pas question de faire dans le passéisme et « avant c’était mieux » mais les relations humaines etaient differentes probablement aussi parce qu’il y avait moins d’argent en jeu… J’avais vu un reportage d’époque a la TV on les voyait partir en vacances ensemble… passer des soirées a déconner.. C’est fini.
Une vidéo sur la relation Cevert-Stewart:
Merci m’sieur 😉
Je cite un extrait:
« Fou de joie à l’idée que la victoire pourrait difficilement m’échapper je ne m’en répétais pas moins : « Fais attention, c’est quand on ralentit qu’on se déconcentre et qu’on sort de la roule bêtement » . J’ai sans doute été assez éloquent pour me convaincre moi-même »
Dire que tout ça c’est que de la flute!
Si ça se trouve il s’est dit:
« J’ai envie d’aller aux gogues, vivement le drapeau! Après le podium une petite crotte vite fait et je file! »
Moi j’imaginais plutôt qu’il pensait a la jolie blonde/brune/rousse qui lui avait promis ses faveurs s’il gagnait la course… Elle l’attendait avec impatience sur le podium….
Pinaize on se refait pas 😉